La libération de la parole des femmes ne doit pas créer une confrontation de genre mais permettre d’interroger de l’intérieur le système patriarcal pour que les hommes se sentent concernés.
Il y a cinq ans, la vague MeToo déferlait sur les réseaux sociaux après avoir ébranlé le monde d’Hollywood. Partout dans le monde, des millions de femmes ont témoigné sur la toile, reprenant le hashtag #Metoo, ou ses variantes comme #Balancetonporc. Au-delà de pointer du doigt des personnes influentes accusées de violences sexuelles, le mouvement porté par des femmes a eu pour effet de questionner en profondeur les abus de pouvoir du système patriarcal responsable de violences. Mais ce mouvement, si ostensible sur internet a t-il eu un effet sociétal réel au Pays Basque nord ?
Dans un article publié au mois d’août dernier, Oihana Teyseyre Koskarat interviewait deux de ses consoeurs, journalistes basques, qui ont été au coeur du mouvement MeToo. Un regard croisé entre Amaia Cazenave, qui avait témoigné d’un harcèlement sexuel au sein de la rédaction locale de France Bleu dans le documentaire de Marie Portolano Je ne suis pas une Salope, je suis une journaliste et Nora Arbelbide, l’une des 23 femmes à avoir porté plainte contre Patrick Poivre D’Arvor. Toutes les deux ont parlé pour dénoncer des comportements abusifs permis par un milieu toxique. Dans chaque cas, que ce soit contre l’ex-présentateur star de TF1 ou le milieu du journalisme sportif, des femmes qui ont subi des violences sexistes se sont unies pour rendre public leur témoignage qui n’avait jusqu’alors pas été entendu.
Par ces mêmes mécanismes, la libération de la parole avance de façon sectorielle : le cinéma, le journalisme, la politique, youtube ou encore l’Église. Plus ces secteurs sont exposés et plus les coups d’éclat font du bruit. Aillet et un MeToo avorté Avec l’exposition des abus sexuels des hommes de pouvoir, le mouvement planétaire a aussi mis en lumière d’autres milieux où le patriarcat sévit et où les victimes ne sont pas que des femmes.
Mis en exergue par le contexte MeToo, le manque de transparence de l’Église sur les cas de pédophilie est devenu insupportable. Le rapport de la Commission Sauvé, instituée en 2019 pour enquêter sur l’ampleur du phénomène en France, fait état de 330 000 victimes majeures et vivantes. Pendant l’enquête et dans tout l’Hexagone, seul un évêque a refusé d’ouvrir ses archives à la commission : l’évêque Aillet de Bayonne. La commission Sauvé s’en est donc tenue aux réponses du diocèse de Bayonne sans pouvoir les vérifier, à savoir 25 signalements incriminant 13 prêtres depuis 1950. Cette opacité est révélatrice d’une réaction de protection des responsables par la sphère dirigeante et l’incapacité de rendre justice quand on fait soi-même partie du problème.
Quand le problème est chez nous
Il n’est que de considérer le cas des violences conjugales ou comment la gifle, d’abord, puis les révélations de violences régulières d’Adrien Quatennens ont plongé le parti LFI dans l’embarras, pour comprendre la difficulté pour un mouvement de traiter en son sein la question. On ne peut pas se contenter de donner des discours féministes (ou d’en faire la grande cause des quinquennats), de s’indigner des violences sexistes et sexuelles chez les opposants tout en maintenant en responsabilité des auteurs d’abus que l’on dénonce. Là se trouve la réelle difficulté : traiter les cas de violences qui ont lieu dans son propre camp sans chercher à protéger les accusés même si ceux-ci sont des amis, qu’ils sont très engagés, brillants ou influents. Ne pas le faire, c’est prendre le risque de perdre une chose autrement plus précieuse : la crédibilité.
Mieux vaut prévenir que guérir
Quand le signalement est connu, la complexité des enjeux politiques et relationnels parasitent une prise de décision juste. Mieux vaut avoir anticipé et, sans attendre le premier signalement, mettre en place une procédure de discipline interne, des commissions ad hoc transparentes et si besoin faire intervenir des acteurs extérieurs pour garantir une certaine impartialité. Au-delà d’assurer un environnement sécurisant pour les femmes, se confronter collectivement aux cas internes permet au mouvement ou à la structure de renvoyer les auteurs des faits répréhensibles à leur responsabilité individuelle. Mettre en place une procédure disciplinaire efficace est donc un moyen dissuasif de prévenir de potentiels abus, qu’il faut sans doute compléter par des formations et actions de sensibilisation qui poussent les hommes à se questionner individuellement. Au fond, la solution pour ne plus perpétrer de nouvelles violences de genre, c’est de remettre en question le système patriarcal de l’intérieur, que les hommes se sentent eux aussi concernés.
Car le but du mouvement MeToo porté par les femmes n’est pas de s’enliser dans une guerre des sexes mais plutôt de transformer les relations sociales entre les genres. Les révélations en masse des victimes du patriarcat invitent à revoir nos rapports femmes/hommes, à investir l’intime, à la considération du consentement, au rapport à la masculinité et à ses privilèges… Le phénomène en fait des objets politiques et de questionnement individuel. Ces cinq dernières années, ceux qui se sont montrés les plus réactionnaires sont ceux qui refusent de renoncer au confort de l’ordre établi basé sur les inégalités de genre.
Il est certain qu’il y aura d’autres mouvements de libération de la parole tant que les dirigeants et personnes influentes seront incapables de reconsidérer leurs privilèges indus de dominants. Et peut-être que MeToo aura bouclé la boucle quand la question des hommes victimes d’agressions sexuelles ne sera plus un tabou.
En tout cas, si vous en avez marre de MeToo, faites en sorte qu’il n’y en ait plus besoin.
Pour aller plus loin, et continuer à se questionner en douceur, voici une petite sélection de podcasts :
– Nork esan zuen ‘pribatua politikoa da’ esaldia?, Argia
– Ce que les hommes peuvent faire après #MeeToo, Les couilles sur la table, Binge Audio
– Un autre homme est possible, Un podcast à soi, Arte radio