L’Edito du mensuel Enbata
Le monde dans lequel nous vivons n’est plus celui dans lequel nous habitions il y a cinq ans. Les crises énergétiques et sociales, la pandémie de Covid-19, les effets du changement climatique, et tant d’autres bouleversements sont passés par là. Au Pays Basque aussi les changements ont été considérables ; l’organisation en octobre d’Euskal Herria Burujabe, cinq ans après la précédente édition tenue en 2018, a fourni l’occasion de se pencher dessus.
En Iparralde, le paysage institutionnel n’est plus le même qu’en 2018, quand la Communauté d’Agglomération Pays Basque (CAPB) n’en était qu’à ses balbutiements. Elle s’est depuis dotée d’une stratégie de coopération transfrontalière (2019), du plan climat Pays Basque (2021), d’un plan de mobilité (2022), d’un secrétariat général à la transition énergétique et à la planification écologique (2023), etc.
Les raisons sont nombreuses de ne se satisfaire ni de ces nouvelles institutions, ni de leurs propositions. Les compétences de la CAPB sont limitées, sa gouvernance est loin d’être optimale et la question de l’équilibre entre les territoires se pose avec acuité. Quant au plan climat, il manque d’ambition et ne respecte pas les objectifs de neutralité carbone fixés par l’Union européenne pour 2050.
On pourrait multiplier les exemples, mais il n’empêche : nous avons à notre disposition de nouveaux outils qu’il convient de mobiliser au maximum. Il n’y a malheureusement aucune raison de penser que les cinq années à venir nous épargnent davantage que les cinq dernières, au contraire. Ne pas utiliser des outils au prétexte qu’ils sont imparfaits et nous concentrer sur des revendications hors d’atteinte nous ferait perdre un temps précieux. Nous ne pouvons plus nous le permettre.
Construisons-donc dès maintenant de nouveaux espaces de souverainetés dans tous les domaines (logement, alimentation, énergie, langue, mobilités, etc.), pour pouvoir contrôler ce qu’Euskal Herria Burujabe appelle «les conditions de nos vies». Les obstacles que nous rencontrerons dans ce processus alimenteront et incarneront nos revendications institutionnelles.
Et en Hegoalde ? Un des constats amers de cet exercice de réflexion sur les changements de ces cinq dernières années est que la construction nationale a patiné, victime entre autres de la fermeture des frontières pendant la crise du Covid. Avons-nous également moins regardé de l’autre côté de la Bidasoa, tout occupés que nous étions à prendre en main nos nouvelles institutions ? Aujourd’hui, le « Zazpiak Bat » n’occupe peut-être pas la même place dans l’imaginaire des plus jeunes que chez leurs aîné·e·s.
Cette tendance n’est heureusement pas irréversible. Deux semaines après Euskal Herria Burujabe à Bayonne, les journées «Burujabetzak» étaient organisées dans le cadre du projet Hernani Burujabe dont l’objectif « est d’aller vers la souveraineté dans tous les domaines de ce qui est nécessaire à nos vies ». Ainsi donc, deux projets portés respectivement par une organisation d’Iparralde née de la mobilisation contre le réchauffement climatique et la mairie d’un fief de la gauche abertzale formalisent en des termes identiques la nécessité de reconquérir nos souverainetés.
Au Nord comme au Sud, cette conception de la souveraineté est désormais commune chez les abertzale. Ainsi pour la maire d’Usurbil, «la souveraineté est polyédrique, elle se construit du bas vers le haut, des villes vers Euskal Herria. Nous voulons donc soutenir les projets qui relèvent de la souveraineté, que ce soit lié à l’énergie, à l’alimentation, aux soins.» Le maire de Getaria et président d’Udalbiltza trouve quant à lui que le projet d’Hernani est exemplaire et qu’il « suscite une saine envie ».
Pendant des années, l’imaginaire du Zazpiak Bat a soudé les abertzale du Nord et du Sud alors même que nos approches politiques étaient différentes. Cet imaginaire fonctionne peut-être moins bien aujourd’hui mais une opportunité historique s’offre à nous en raison de cette convergence inédite de nos logiciels politiques. Nous sommes arrivés au même point par des chemins différents et nos expériences sont donc complémentaires pour réussir cette reconquête de nos souverainetés. Quoi de mieux que d’y travailler ensemble afin qu’Euskal Herria devienne notre cadre de pensée naturel ? Pour construire un Zazpiak Bat 2.0 lui aussi « polyédrique, qui se construit du bas vers le haut, des villages vers Euskal Herria » et qui fournira une base solide à nos revendications institutionnelles.